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Étiquette : peinture

Boire le thé : un sujet de peinture

Boire du thé est une action, somme toute banale. Mais il suffit que ce geste devienne sujet de tableau pour qu’il s’en trouve intéressant.
À l’aide d’une petite sélection de tableaux, je vous montre ce geste par étapes, au travers de plusieurs cultures et époques.

Cela commence par avoir entre ses mains, la tasse avec anse ou non, ou la soucoupe, comme cela se faisait en Russie contenant la liqueur encore chaude. On souffle dessus pour la refroidir ou on attend qu’elle refroidisse en ne la quittant pas des yeux. Cela devient comme hypnotisant. Que voient-ils dans leur tasse ?

Puis, on commence à boire, doucement. On penche à peine la tasse ou la soucoupe qui doit être bien remplie. Le petit garçon, lui a besoin de ses deux petites mains pour ne pas renverser la soucoupe de thé.

Et là, on y est ! On a gouté et le thé est parfait. On se met à le boire plus rapidement en penchant la tasse ou la tête…

…pour ne laisser aucune goutte ! ( Elle avait la soif la dame ! )

Thé et nature morte

La nature morte est un genre pictural qui a traversé tous les âges de la peinture, dont l’origine remonte à l’antiquité et qui a connu son essor à partir du XVIIe siècle dans plusieurs pays européens. Bien qu’il fut considéré comme un genre mineur, de nombreux et célèbres peintres en ont réalisé.
Sans trop rentrer dans les détails – qui sont certes passionnants, mais là on a pas le temps – la nature morte c’est un tableau qui représente des sujets inanimés, comme des objets, vaisselle ou des végétaux ou encore des animaux morts, agencés d’une manière bien déterminée par le peintre, qui se veut réaliste et parfois symbolique. Il s’agit donc d’une mise en scène d’objets.
Pour le peintre qui réalise une nature morte, c’est un exercice de la lumière, des formes, des couleurs.

Je vous propose d’explorer quelques natures mortes ayant pour sujet des objets liés au thé et de voir ce que ces tableaux ont à dire sur ce thème au travers des âges.

La nature morte : quand la théière prend la pose

Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779)
Nature morte avec théière, raisins, noix et poire

On commence avec un maître français de la nature morte, Jean-Baptiste-Siméon Chardin, avec sa Nature morte avec théière, raisins, noix et poire. Avec les natures mortes, c’est simple, on a toujours tout le contenu du tableau dans le titre. Pour la description c’est pratique !
Ce qui attire l’oeil ici, c’est la théière, sa blancheur qui capte et réfléchit la lumière. Les noix et fruits sont posés simplement sur la table comme éléments décoratifs, avec quelques raisins dépassant du rebord de table ( l’objet ainsi suspendu ou qui est sur le point de tomber se retrouve dans de très nombreuses natures mortes. Cet élément suspendu, très réaliste fait toujours son petit effet ). Le tout, exposé sur un fond neutre, assez sombre.

Composition conventionnelle pour ce genre, alliant objets et fruits qui parfois revêtent une certaine symbolique, religieuse très souvent. Mais ici, je ne pense pas que cela soit le cas. Les fruits ne sont là que comme éléments décoratifs et permettent à l’artiste de montrer son travail sur la lumière et sa réflection. Mais… je serai tentée de développer une petite interprétation sur le rapport qui peut exister, entre la théière d’un côté et les fruits de l’autre.
Le thé est à l’époque de Chardin une boisson consommée surtout par les personnes aisées. Cette théière d’une blancheur éclatante, qui elle-même devait être un ustensile assez cher ( qu’elle soit en porcelaine ou en grès ou autre ), était donc un signe extérieur de richesse. Et nous avons à côté, comme en contraste, de simples fruits posés à même la table. Chardin a-t-il voulu ainsi exprimer une sorte d’antithèse ? A-t-il voulu montrer que les choses simples étaient tout aussi belles que celles qui brillent davantage ? Ou à l’inverse, ramener ce qui est plus raffiné, plus riche à une certaine simplicité ?
Je ne sais pas mais je me pose la question. Peut-être n’avait-il que ça sous la main au moment de faire son tableau, ce qui est tout aussi probable !

C’est une mise en scène très classique pour une nature morte : les objets posés simplement sur une table, un décor extrêmement simple, un fond sombre permettant de ne se focaliser qu’uniquement sur le premier plan, un angle de vue frontal.
Et donc, comme beaucoup, c’est une composition qui n’est pas sans rappeler celle de certains portraits en peinture et en photographie où les personnes posent. C’est justement cette impression que les objets prennent la pose, qui est recherchée dans la nature morte.

Comme dans ce tableau de Chan Siu Min, peintre hong kongais contemporain, où le service aux motifs asiatiques est agencé de cette manière, dans un décor drapé.

Chan Siu Min
Chinese Tea Set
1992

Le drapé est un élément bien connu des natures mortes. Ici, avec le drapé au mur et au sol, cela donne un effet contemporain, un peu studio photo.
On peut contempler ce service typiquement asiatique. Si la tasse de thé trouve son origine en Chine, la anse de la tasse a elle, été créée en Europe. Je l’ai découvert dans cet article dont je vous conseille la lecture.

Pieter Gerritsz van Roestraten ( 17e siècle)
A Yixing Teapot and a Chinese Porcelain Tete-a-Tete on a Partly Draped

Dans cette nature morte de Pieter Gerritsz van Roestraten dont l’agencement reprend les mêmes caractéristiques ( avec la table, le décor sobre et sombre, l’angle frontal, le drapé, et la position des objets qui prennent la pose ). Nous y voyons les deux tasses remplies de thé ! Vous le verrez dans la suite de ma sélection, voir le thé comme liqueur est assez rare.
Nous avons quelques éléments qui nous indiquent la manière dont on consommait le thé à l’époque. Comme ces morceaux de sucre candi posés bien en évidence sur la table près de la cuillère. Le sucre candi est d’ailleurs toujours utilisé pour sucrer le thé dans certains pays.
Il y a un pot très élégant qui accompagne le saladier et les tasses tous décorés de motifs asiatiques. Il s’agit d’un pot à thé. Il trouve son origine en Asie et il est toujours utilisé de nos jours (mais en moins beau) pour conserver le thé.
La théière qui semble ne pas faire parti du service, est une théière Yixing, faite d’argile de la province du Yixing en Chine. Il y a donc ici beaucoup, pour l’époque, d’exotisme, de nouveauté, de finesse et donc de luxe.
Dans un autre tableau de l’artiste qui représente les mêmes éléments, le peintre y a rajouté un pot à épices, celles-ci étant utilisées pour aromatiser le breuvage.

Pieter-Gerritsz-Van-Roestraten (17e siècle )
Still-Life-with-Tea-Cups

Nature morte : le moment du thé

On change de type de composition avec les oeuvres du peintre suisse Albert Anker, Nature morte, thé et gâteaux et du peintre contemporain russe, Boris Vedenikov, Still Life with Samovar. Le tableau de Vedenikov date de 1991 mais donne l’impression qu’il s’agit d’une table du 19e siècle, surtout quand on le compare à celui d’Anker. Je l’ai d’ailleurs cru pendant que je préparais le texte ! (Heureusement qu’il m’arrive de regarder la date des oeuvres ). C’est très surprenant. Peut-être une volonté de kitch ou de nostalgie.

Nous ne sommes plus dans la mise en scène d’objets qui posent simplement mais nous avons affaire à des objets placés naturellement dans leur environnement, dans un décor reconstitué. Un cadre qui donne la sensation d’une atmosphère plus domestique, quotidienne, chaleureuse aussi, avec ce fond rouge, ces belles nappes.
Les peintres représentent de beaux modèles d’ustensiles avec pour celui de Boris Vedenikov, ce samovar, qui fait dire qu’il s’agit d’une table de pays de l’est et celui de Anker, ce système de théière sur réchaud très prisé au 19e siècle ( que l’on peut trouver dans le tableau de Jeanne Lemaire).

Ce qui est représenté dans ces tableaux, ce n’est plus le thé comme objet, mais comme moment, comme repas. Le thé de l’après-midi, instant gourmand et chaleureux.

Tout est prêt, la table est mise…

Avec le tableau de Paula Modersohn-Becker, on a la version sans aliment et légèrement plus froide au niveau des couleurs. Mais s’échappe quand même, de ce moment du thé, une chaleur avec cette table préparée.

Paula Modersohn-Becker
STILL LIFE WITH BLUE AND WHITE PORCELAIN TEA SET, 1900

On agrandi un peu le cadrage et nous avons la nature morte de la peintre russe Olga Alexandrovna, qui donne à voir un peu plus la pièce dans laquelle on a préparé le thé, avec, toujours, un joli service à thé aux détails très fins, un imposant samovar ainsi qu’un gâteau et des confitures. Pour le gâteau et le thé ! Les russes utilisaient de la confiture ( certains le font encore ) pour sucrer leur thé qui était très fort.

Olga Alexandrovna
The Russian tea table at Knudsminde.

J’ai sélectionné cette oeuvre car je la trouve marquée d’une grande nostalgie, quand on connait l’histoire de la peintre. Olga était la soeur du tsar Nicolas II et a dû fuir la Russie lors de la révolution en 1918. Son pays lui manquait beaucoup et ce tableau, ce qu’il représente, ce thé russe dans une ferme du Danemark, est le témoignage de sa nostalgie et de sa culture russe qu’elle n’a jamais oublié. Une table pleine de souvenirs….

Mais le thé ne se boit pas qu’a table quand on voit le tableau de Claude Monet, Le Service à thé. Ici le style est épuré !!

Claude Monet
Le Service à thé
1872

On dépouille tout. Le thé se boit sur le sol, mais quand même sur une jolie nappe blanche (on dirait un pique-nique à l’intérieur ). Le service bien qu’en porcelaine aux motifs élégants et aussi réduit au strict minimum, pas de sucre, pas de gâteaux mais juste deux petite tasses, l’une remplie, l’autre non, une peeeeeetite théière, et une cuillère pour deux. Cette cuillère posée négligemment sur la nappe interpelle un peu…
Moment du thé pas si dépouillé que ça, en tout cas esthétiquement non. Il y a quand même cette petite nappe blanche, une petite plante déco dans un pot dans le même style que le service à thé qui es posé sur un très beau plateau rouge à l’esprit asiatique. Ces éléments apportent de larges et belles touches de couleurs dans le tableau.
Il y a quelque chose qui me fait rire avec cette nature morte. Peut-être cet endroit atypique choisi pour le thé, avec la plinthe en arrière plan… Je pense automatiquement à une scène de déménagement, quand on fait une pause entre tous les cartons, et qu’on s’installe par terre pour une pause gouter ! Ce qui me fait sourire aussi, c’est cette cuillère pour deux posée sur la nappe, qui là encore, automatiquement, me questionne beaucoup.
Mais je reconnais aussi la beauté tout en délicatesse de cette nature morte. Il y a comme un silence qui s’en dégage, comme dans tous les tableaux que nous venons de voir. Vous allez me dire que c’est normal pour des oeuvres dont les sujets sont des objets inanimés et qui font disparaître la présence de l’homme !

Eh bien… pas tant que ça quand on voit le tableau de Jean Etienne Liotard.

Jean-Etienne Liotard
Nature morte au service à thé
(c. 1781-83)

Je pense que celui-ci est mon préféré de la sélection. On y voit un très beau et couteux ,certainement, service à thé en porcelaine au décor asiatique. Certaines tasses ont été utilisées, d’autres non, il y a des tartines, certaines mangées dont quelques morceaux ont été laissés en désordre, il y un généreux bol de sucre avec une très belle pince, un bol destiné à recevoir les tasses utilisées, un pot à thé, un pot à lait et une théière. Le tout posé sur un plateau, lui-même posé sur une table. Là on revient à un décor très neutre et sobre, mais les objets ne prennent pas la pose. De part leur position, il y a un contexte et une histoire qui s’en dégage.
Les objets sont utilisés. De ce plateau en désordre, on y sent la vie et on s’imagine sans mal, les bruits de couverts, de tasse, en se servant, en rangeant, en reposant négligemment une tasse, les bruits de bouche en mangeant les tartines… Ce cadrage serré en contraste avec ce plateau qui contient tant de choses et de tasses donc de personne, donne cette sensation qu’il y a beaucoup de bruit.
C’est un tableau qui, juste en montrant un service utilisé, montre la vie, le bruit qu’il y eu sans montrer un humain. Il diffère des autres oeuvres montrées, ( à part celui de Monet ) par l’instant choisi par le peintre : après le moment du thé ou pendant si on se dit que les tasses retournées n’ont pas encore été utilisées. C’est une composition qui n’est pas figée. Et c’est une composition qui déclenche fortement l’imagination du spectateur par la narration qu’il impose.
Au vu du nombre de tasse, il y a 6 personnes présentes. Certaines se sont servies, d’autres pas encore ou peut-être que certaines l’ont fait mais ont replacé les tasses très proprement. Peut-être qu’elles n’ont pas encore bu parce qu’elles sont encore trop occupées à discuter. Les bouts de tartines laissés par-ci, par-là, peuvent suggérer qu’il s’agit d’un cadre familial (famille ou amis), où on est plus à l’aise. De par le luxe, il s’agit bien évidemment d’une famille très aisé. On oublie pas que Liotard est un peintre du 18e siècle et toujours à cette époque, le thé c’est une affaire de riches. Le cadrage est serré et pourtant la vie qui se dégage de ce plateau et les détails qu’il contient, nous projettent ce qui doit être autour, le hors-champ, comme on dit au cinéma : une famille et/ou des amis discutant, allant se servir et revenir pour discuter dans un salon au décor aisé et bruyant.
C’est une interprétation bien sûr. Imaginez ce que vous voulez ! La peinture est aussi faite pour ça !

Nature morte : chanoyu, livre et cubisme.

Je voudrais finir par ces deux oeuvres.
Il s’agit d’une estampe japonaise de Kobe Shunman du 19e siècle et une oeuvre à la peinture tempera ( à l’oeuf ), Tea leaves, d’une artiste américaine que j’ai découvert pendant mes recherches pour cet article, Katharine Taylor.

La nature morte de Shunman illustre un poème écrit pour célébrer la 1ere cérémonie du thé de la nouvelle année. Je vous invite à lire la traduction .
L’estampe présente tous les ustensiles nécessaire pour la cérémonie du thé japonais, le « Chanoyu » : le « kama » : la bouilloire en fonte, le « cha-ire » : le pot de thé entouré dans un petit sac, le «  chawan » : le bol à thé, le « fukusa » : petit carré de tissus pour manier les ustensiles chauds ou pour le nettoyage des ustentisles, le « chashaku »:la cuillère pour prendre le thé, le «chasen» : le fouet pour le matcha et ce qui me semble être le «mizusachi» : la jarre contenant l’eau pour le nettoyage du bol. Une branche de camélia accompagne le tout, symbole de la fin de l’hiver et donc du début du printemps. Cette estampe nous donne à voir le Chanoyu comme un art et une philosophie liée à la nature.
Pour le tableau de Katharine Taylor, on voit ici qu’elle reprend les codes que nous avons déjà vu dans les oeuvres précédentes. J’apprécie cette oeuvre car elle associe le thé à la lecture ( thé et lecture, chose bien ancrée dans nos habitudes ). J’ai choisi cette oeuvre contemporaine dans cette sélection d’oeuvres anciennes pour montrer que la nature morte est toujours un genre présent de nos jours et surtout que la nature morte ayant pour sujet le thé traverse les siècles.

Il me reste encore une dernière oeuvre à vous montrer (oui, j’ai menti quand j’ai dit qu’il ne me restait que deux oeuvres ). Je voulais terminer comme j’ai commencé, avec une nature morte avec une théière blanche et des fruits. Celle de Cézanne.

Paul Cézanne
Nature morte avec pot de thé
1902-1906

Cézanne, peintre du 19e siècle et précurseur du cubisme, a peint de nombreuses natures mortes dont beaucoup avec des pommes et des oranges. Il avait fait de la forme des pommes et des oranges son champ d’étude, lui qui était captivé par les formes géométriques et les couleurs.
On retrouve les grands classiques que vous connaissez bien maintenant : le fond neutre, le drapé, les fruits, le couteau sur le point de tomber…
Ici, il n’y a pas de narration, ni réalisme tel qu’on l’a vu dans toutes les oeuvres. Il y a la réalité perçue par Cézanne, celle où la forme et les couleurs priment.
Voyez comme cette rondeur est présente partout sur la table. C’est la rondeur qui saute aux yeux. Celle de la théière qui fait écho, à celle des fruits, du pot à sucre et de l’assiette. Le fond aux couleurs foncées, fait de coups de pinceaux qui brouillent la réalité, fait ressortir les couleurs éclatantes et chaudes des fruits et du tissu qui marquent le regard. Au milieu d’elle, cette théière blanche qui se distingue et qui commence à refléter l’orange des fruits. Oui, il y a un bien un petit quelque chose de cubiste dans cette théière.


Des théières qui prennent simplement la pose ou des théières qui racontent une histoire, des services aux décors exotiques reflétant le luxe ou ceux plus modestes mais tout aussi élégants, pour une personne ou bien un grand ensemble, consommé avec du sucre candi, ou du sucre blanc, ou de la confiture, au Japon au 19e siècle ou aux États-Unis au 21e… Ces natures mortes témoignent, certes, des différences, mais surtout, d’une chose qui semble intemporelle : la place d’une tasse de thé dans nos habitudes quotidiennes. Le thé a encore de beaux jours sur nos tables !

Thé, quiétude et vagabondages

Si le thé est une boisson conviviale , il sied aussi parfaitement aux moments plus calmes et plus solitaires.
On aime savourer une tasse de thé dans le silence et la lenteur…
Le thé comme instant de détente qui suscite le vagabondage de nos pensées, est une vérité que tout buveur de thé connait bien.


Ici, nous avons la parfaite représentation de ce moment solitaire autour d’une tasse de thé, avec l’oeuvre de Jean Siméon Chardin, Une dame qui prend le thé
Une femme, une tasse et une théière. Le cadrage et la pénombre suscitent cette sensation de vide autour d’elle. L’obscurité fait ressortir cette fumée qui s’échappe de la théière et qui parait occuper toute la pièce pour donner un décor envoutant qui fait planer un grand calme autour d’elle.
Elle est en train de remuer son thé. L’inclinaison de sa tête et son regard suggèrent que son esprit est absent, loin. Ce lent mouvement circulaire la transporterait-il ailleurs ? La ferait-il ressasser quelques pensées ? Est-ce le contenu du petit meuble rouge qui occupe ses pensées ?
En effet, ce meuble, seul élément de couleur vive de la toile, attire le regard… Et attise la curiosité avec ce tiroir resté légèrement entrouvert. Un soupçon de mystère s’ajoute alors dans ce décor.
Peut-être que son état est simplement dû à l’envie de se reposer : « On boit le thé pour oublier le bruit du monde. » a écrit Lu Yu. J’aime énormément le travail de lumière et d’obscurité de ce tableau. Cette composition entre le noir de l’obscurité rappelé par le châle et la théière et le rouge du meuble. Le tout, mêlé à cette fumée envoutante, qui se fond avec le décor en arrière-plan, donnant une couleur chaude, pour créer un moment de repos à l’atmosphère chaleureuse et teinté d’un léger mystère.

Ce mélange de couleurs se retrouve dans le tableau d’Eva Gonzales, Le thé.

Dans un intérieur intime, calme, un petit guéridon installé entre une porte et la cheminée, sur lequel sont posées une très petite théière et tasse. Une très grande femme, habillée de noir et dont le châle rouge repose sur l’accoudoir de la chaise, tient la tasse légèrement penchée. Le guéridon semble avoir été placé à cette endroit pour profiter de la chaleur de la cheminée. La pièce semble très « cosy », il est vrai. Ici à l’inverse du tableau précédent, le rouge prédomine : avec le tapis, le châle et cette lumière qui se reflète sur le visage de la femme et du mur. Certainement la lumière qui s’échappe du feu de cheminée. Il y a toujours ce même jeu entre le rouge et le noir qui donne, comme dans l’oeuvre de Chardin : un fort contraste évoquant cette même ambiance chaleureuse et réconfortante. Encore une fois, le thé est synonyme de chaleur et de réconfort.
Tout comme la femme du tableau de Chardin, elle a le regard plongé dans la tasse. Ses pensées aussi ? Sa manière de tenir la tasse, relevée et un peu penchée, assez atypique, comme si elle s’était arrêtée en plein mouvement étaye cette idée.
La tasse de thé semble avoir un pouvoir hypnotisant, menant à l’évasion.

Dans le tableau d’André Brouillet, Le thé fumant ,une famille se retrouve autour du thé  « fumant ». L’homme est le peintre lui-même, avec sa femme et leur fille adoptive. Nous ne savons pas qui est la vieille femme.
Cette scène est très similaire aux deux précédentes : même jeu de couleurs reflétant la chaleur du thé, et surtout même silence et solitude. Car s’il s’agit d’une scène en famille, collective, il y a un silence et une solitude dans ce groupe. Ils ne parlent pas pour ne pas réveiller la petite fille ( on sent la bienveillance dans ce tableau ), mais aussi parce que tous ont une attitude songeuse : s’ils sont ensemble, physiquement, leur esprit n’est pas au même endroit. Les regards ne se croisent pas. Le peintre veille sur l’enfant, pensif. Sa femme arrête sa lecture et regarde au loin, les pensées perdues, tout comme la vieille femme. Le thé fumant les aurait-il guidé vers un endroit lointain ? C’est une belle scène de rêverie qui fait écho aux rêves que doit faire la petite fille dans son sommeil.

La femme du tableau de Brouillet laisse sa lecture pour se laisser aller à ses pensées. Lecture, thé et vagabondage est un ensemble que l’on retrouve beaucoup dans la réalité, il n’y a qu’a regarder dans les cafés et salons de thé. Vous trouverez certainement cette scène du tableau d’André Derain, La tasse de thé .

Nous retrouvons tous les codes des tableaux ci-dessus ( remarquez aussi la théière, on dirait la même que celle du tableau de Chardin). Nous avons les mêmes codes couleurs, la même ambiance chaleureuse et mystérieuse, ce même décor qui s’efface dans le noir, pour se focaliser sur ce moment, sur cette évasion. Mais contrairement aux deux premiers, l’angle de vue nous permet de voir le personnage de face et ainsi observer plus nettement, son attitude songeuse.
Le livre est bien mis en évidence, qui attend que l’on tourne sa page. Malheureusement il risque d’attendre, le regard de la femme ( ses beaux et immenses yeux noirs captivent notre oeil ), n’est plus sur lui mais ailleurs. Le regard de côté projette au loin, tout un univers mental pour lequel on délaisse bien volontiers la réalité.

Ce regard perdu, on le retrouve dans le tableau de Marie Bracquemond, Le gouter.

Ce tableau casse avec les autres. La scène de thé se déroule à l’extérieur, il est très lumineux, les couleurs dominantes du jour sont le bleu et le vert. Mais il montre la même chose que les autres. C’est un peu le pendant lumineux du tableau de Derain. J’aime cette différence de regard avec le précédent. Là ,où la femme ouvrait de grand yeux et regardait ailleurs d’une manière bien visible, ici c’est un autre type de regard, plus subtile, plus discret. Une autre manière de vagabonder dans ses pensées.


En explorant ce petit corpus, on croit volontiers que le thé conduit au calme et mène au vagabondage des pensées… Le thé: liqueur d’un instant rêvé.

Le moment du thé : bavardages et mondanités.

Que ce soit hier ou aujourd’hui, le moment du thé rime souvent avec conversation et convivialité. C’est un moment où l’on se rassemble entre famille mais aussi entre amis et connaissances, où l’on accueille dans sa maison, où l’on est invité chez un hôte, pour se retrouver autour de la chaleur d’une tasse et échanger, refaire le monde, rire aux éclats…


Dès le début de son introduction en Europe au XVIIè siècle, le thé est d’abord présent dans les couches supérieures de la société. La nouvelle boisson accompagne les événements et divertissement des gens fortunés et en vue, comme représenté ici dans ce tableau de Michel Barthélemy Ollivier, Le thé à l’anglaise dans le salon des quatre-glaces au palais du temple à Paris ( 1764).

Le thé servi à l’anglaise dans le salon des quatre glaces au palais du temple à Paris de Michel Barthélemy Ollivier ( 1764)

Nous assistons à un thé servi à l’anglaise ( servi par soi-même et non pas par des domestiques. C’est ça la vraie classe ! ) chez le Prince Conti. Le prince a rassemblé dans une très belle pièce, des nobles, des esprits éclairés et des artistes. Certains conversent avec la musique du petit Mozart en fond, d’autres servent le thé. De belles tasses et théières sont utilisées avec délicatesse. Le thé est accompagné de fins gâteaux. Le tout est présenté sous forme de buffet.
Une atmosphère intellectuelle habituelle aux salons littéraires du XVIIIe siècle, se dégage de cette scène, de par la présence des invités : scientifique, femmes de lettres, protectrice d’écrivains, musiciens ( même si ces derniers ne baignent pas dans la même lumière et portent des habits moins colorés, ce qui montre qu’ils n’ont pas le même statut que les invités aristocrates). Ils discutent, débattent, peut-être d’art, de littérature, de musique, tout en dégustant un peu de thé. Ici, nous l’image du thé comme une boisson pleine de délicatesse, raffinée qui trouve naturellement sa place dans un décor mondain et qui sied à merveille aux esprits les plus fins.
Comme il est mentionnée sur le site l’histoire par l’image , le thé à cette époque n’est pas aussi répandu en France qu’en Angleterre. Boire ce nouveau breuvage dont les anglais étaient fous et qui venait d’une terre si lointaine, devait être perçu comme exotique, précieux et très à la mode pour ces nobles. D’ailleurs, l’intérêt porté au thé est résumé dans cette petite phrase écrite sur une feuille près du près du violoncelle, dans le coin en bas à gauche du tableau (Je ne le vois pas mais sur l’histoire par l’image, l’auteur la cite ) :

« De la douce et vive gaieté
Chacun icy donne l’exemple,
On dresse des autels au thé ;
Il meritoit d’avoir un temple. »

Le thé, boisson des mondains, apparait également dans le tableau de Jeanne Lemaire, Le gouter au salon du peintre , peint en 1891. Il s’agit du salon de Lemaire. Comme on le voit sur la photo, elle a représenté son atelier à l’identique.

Un beau salon, les invités portant d’élégantes tenues, appartenant à la classe aisée.
La table est bien garnie en théières de plusieurs tailles dont la plus grosse est posée sur un réchaud. Le thé est encore chaud, on voit de la fumée qui sort. Il y a du citron posé sur une soucoupe et une belle brioche pas encore entamée. Les femmes ont des tasses à la main mais nous ne voyons pas d’hommes en avoir. Il semble même qu’un d’eux refuse poliment une tasse qu’on lui propose.
Ici encore, la conversation bat son plein autour de la tasse de thé. Ce que j’aime dans ce tableau c’est le bruit présent ! Une scène pleine de bruit de conversation. Tous les personnages sont en groupes, les positions de leurs têtes et de leurs mains, montrent qu’ils sont en train de parler. Parlent-ils des oeuvres d’arts ?
Peut-être. De secrets ? Pour deux femmes, on dirait bien !

Notez la mise en scène de deux espaces bien distincts : à gauche, les personnes qui parlent en 3 groupes, qui se tiennent debout ou assis à table sur le parquet. Et à droite, un espace bien délimité (par la présence du tapis), dans lequel se trouve deux femmes qui discutent de manière privée. Cet espace délimité est davantage discret, intime. Alors que le rideau dans l’espace de gauche est ouvert et montre une ouverture, celui de l’espace droit est tiré, comme pour les cacher. Le paravent participe également à cacher les deux femmes qui semblent être à l’écart du groupe principal. Les couleurs beaucoup plus claires, pastels, participent à montrer la différence avec le reste de la pièce. Un espace plus silencieux. Beaucoup plus discret du moins. Parlent-elle d’un secret ? D’une mauvaise nouvelle ?
Dans cette scène si anodine, se déroule peut-être un drame ! Cela n’est qu’interprétation mais en tout cas, la peintre a bien mis en valeur ces deux jeunes femmes qui, si elles sont en retrait par rapport au reste du groupe, nous est révélé et attire notre regard. Le thé serait-il propice au déliement des langues ?

À croire le peintre américain, Louis Moeller, oui ! Dans son oeuvre, The gossips ( Les ragots) on assiste à une scène, cette fois-ci beaucoup moins mondaine, dans un intérieur privé et aisé.

Il y a un groupe de quatre femmes. Trois d’entres elles, écoutent la femme de gauche parler. Tout comme dans le tableau de Lemaire, il y a une mise en scène intimiste, secrète. Un paravent est installé et a la même fonction que dans le tableau de Lemaire : cacher ce groupe durant leur conversation. Elles sont également rapprochées l’une des autres. Pour que personne ne les entendent.
On comprend aisément qu’il s’agit de gossips , de ragots : avec la position des deux femmes dont on voit le visage à droite, qui montre à quel point elles prêtent l’oreille à ce qui est dit ; ce mouvement figé de la chaise à bascule qui tend vers l’avant sous le poids de la femme qui se rapproche pour parler. C’est d’ailleurs, ce qui attire le regard dans ce tableau. La femme de dos ne semble pas prêter attention à ce qui est dit car elle semble être la seule à ne pas regarder la femme de gauche.
Il n’y a que la femme qui parle qui semble avoir une tasse de thé. Peut-être est-elle arrivée à l’improviste pour raconter ses commérages et son hôtesse lui a offert une tasse de thé pour l’accueillir ou alors les deux femmes intéressées par ce qu’elle sait l’ont invité et lui on proposé une gentille tasse de thé pour lui délier la langue ?…

Mais loin de moi l’idée de vous faire croire que le thé est la boisson des commérages et des secrets !

Le peintre franco-italien François Soulacroix a réalisé plusieurs versions d’une même scène. Celle représentant trois jeunes femmes issues d’un riche milieu au vue de leurs très élégantes tenues sont réunies dans une très luxueuse pièce pour prendre le thé. Je vous en propose deux mais il doit y en avoir une ou deux autres de plus. Soulacroix a également peint d’autres oeuvres qui ont aussi pour thème le moment du thé.
La scène est intime. Il semble n’y avoir que ce groupe d’amies dans cette salle.
Là encore, on parle autour du thé. Mais ici, le moment du thé est l’occasion de se réunir entre amis pour un moment complice. On s’amuse, on se taquine. C’est un moment entre amies qui sont heureuses d’être ensemble et de partager une tasse de thé.
Dans ces deux versions, le décor change quelque peu mais les deux représentations se ressemblent énormément ( Je vous invite à jouer aux jeu des 7 différences dans les commentaires ). Le service à thé, posé sur un très beau guéridon qui le met en valeur, est différent mais tout aussi raffiné. J’aime beaucoup le tableau de droite. La jeune femme qui se cache le visage avec son éventail et qui rougit de gêne attire le regard. Ce geste traduit une atmosphère très complice et amicale, personnelle. C’est une scène très réaliste, commune et non pas mise en scène. Cette scène de thé entre amies, on pourrait la trouver partout aujourd’hui.

Autre tableau dans le même esprit que celui de Soulacroix, l’oeuvre de Louis Moeller, Tea party .

Le milieu change, il s’agit d’un cadre plus sobre et l’âge des personnages diffère légèrement. La scène représentée est assez intéressante. L’atmosphère qui s’en dégage est l’opposée du tableau de Soulacroix. Il s’agit bien d’un groupe d’amies réunies pour le thé chez l’une d’entres elles. Là encore, il est question de conversation autour de la chaleur d’une tasse, d’une belle table bien garnie, avec de belles tasses en porcelaine et du gâteau. Une gentille rencontre entre amies !
Oui mais ici, la conversation a dû mener vers un profond désaccord. La gestuel des femmes nous le montre. Un index levé bien droit d’une femme, qui semble mettre en garde, ou affirmer son opposition, les mains innocemment levées d’une autre, pour renforcer son argumentaire et dire : « Vous n’êtes pas d’accord, soit, mais j’ai raison ! », la petite main d’une 3e femme pour tenter d’arrêter la seconde et apaiser les choses. On tente de la raisonner , on lui apporte même une autre tasse de thé pour la calmer. ( Il est vrai que tout semble mieux passer avec une tasse de thé ! ) Mais rien n’y fait… Un conflit va -t-il éclater ? Ces chères dames vont-elles en venir aux mains ?

Dans le tableau de Wilhem, The tea Lady , la conversation semble aussi aller de pair avec le moment du thé.

Un groupe d’amis ou une famille prend le thé à l’extérieur dans un cadre privé. On se parle, on s’écoute. De façon générale, la conversation semble assez posée. Mais il y a tout de même un silence. Un silence lourd pour la femme au centre de l’image. Les autres parlent ensemble, sont assis les uns près des autres. Pour la femme, il y a une place vide près d’elle, bien mise en évidence. Est-ce le chapeau de son conjoint ? Ou le sien ? En tout cas, ce chapeau met en lumière cette place vide près d’elle, et donc une solitude et un silence.
Cette solitude la coupe des autres. Elle est placée en coin de table, comme à part, elle n’a même pas de tasse devant elle. Son regard est perdu, elle est immobile. Est-ce sa solitude qui la paralyse ? Je trouvais très intéressant de mettre ce tableau dans le corpus, car la solitude est justement mise en exergue parce qu’elle apparait dans un contexte convivial, durant le moment du thé, ce qui rend le contraste encore plus fort.

Pour finir le corpus, je voulais mettre ce tableau que j’aime énormément : Le thé de cinq heures du peintre américain Julius Leblanc Stewart

Ici, nous sommes dans un très bel intérieur, plein de monde pour l’heure du thé. On retrouve plusieurs éléments déjà vu dans les précédents tableaux : un milieu aisé, la conversation qui bat son plein dans chaque petits groupes, un très beau service à thé… Mais il y a une petite différence… Les enfants ! Il est vrai qu’il était rare que les adultes «s’encombrent» de leurs enfants durant ces moments de vie sociale, surtout dans les milieux aisés.
D’ailleurs même s’il y a deux petites filles présentes, celles-ci sont bien séparées des adultes et de leurs conversations de «grands». Tous sont plongés dans leur discussions excepté deux femmes. Celle en rose qui pose un regard sur une des petites filles et une autre femme, silencieuse, qui semble perdue dans ses pensées. Sont-elles les mères des petites filles ? Ou peut-être n’y a-t-il qu’une seule mère ? Celle en rose ?
En tout cas, cette représentation du five o’ clock tea, confirme encore une fois que le moment du thé est -pour les adultes- un moment où l’on prend davantage de plaisir à discuter qu’a prendre le thé, alors que pour les enfants, il semble que cela soit l’inverse !


La peinture le montre bien, comme le champagne qui accompagne les moments festifs, le thé accompagnait des temps conviviaux, amicaux et mondains des classes sociales aisées et moyennes et ce, à différentes époques. Qu’il s’agisse de discussions intellectuelles, intimes, de conversations de tous les jours, etc. il était et il est toujours plus sympathique de discuter autour d’une bonne tasse de thé chaud.

"Incident theiné ou Thé pris à la fin d'une longue journée " par Sia de @lavoixduthe 

Merveilleuse oeuvre ! Merci Sia ! 😁😁😁

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