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Mois : octobre 2020

Le moment du thé : bavardages et mondanités.

Que ce soit hier ou aujourd’hui, le moment du thé rime souvent avec conversation et convivialité. C’est un moment où l’on se rassemble entre famille mais aussi entre amis et connaissances, où l’on accueille dans sa maison, où l’on est invité chez un hôte, pour se retrouver autour de la chaleur d’une tasse et échanger, refaire le monde, rire aux éclats…


Dès le début de son introduction en Europe au XVIIè siècle, le thé est d’abord présent dans les couches supérieures de la société. La nouvelle boisson accompagne les événements et divertissement des gens fortunés et en vue, comme représenté ici dans ce tableau de Michel Barthélemy Ollivier, Le thé à l’anglaise dans le salon des quatre-glaces au palais du temple à Paris ( 1764).

Le thé servi à l’anglaise dans le salon des quatre glaces au palais du temple à Paris de Michel Barthélemy Ollivier ( 1764)

Nous assistons à un thé servi à l’anglaise ( servi par soi-même et non pas par des domestiques. C’est ça la vraie classe ! ) chez le Prince Conti. Le prince a rassemblé dans une très belle pièce, des nobles, des esprits éclairés et des artistes. Certains conversent avec la musique du petit Mozart en fond, d’autres servent le thé. De belles tasses et théières sont utilisées avec délicatesse. Le thé est accompagné de fins gâteaux. Le tout est présenté sous forme de buffet.
Une atmosphère intellectuelle habituelle aux salons littéraires du XVIIIe siècle, se dégage de cette scène, de par la présence des invités : scientifique, femmes de lettres, protectrice d’écrivains, musiciens ( même si ces derniers ne baignent pas dans la même lumière et portent des habits moins colorés, ce qui montre qu’ils n’ont pas le même statut que les invités aristocrates). Ils discutent, débattent, peut-être d’art, de littérature, de musique, tout en dégustant un peu de thé. Ici, nous l’image du thé comme une boisson pleine de délicatesse, raffinée qui trouve naturellement sa place dans un décor mondain et qui sied à merveille aux esprits les plus fins.
Comme il est mentionnée sur le site l’histoire par l’image , le thé à cette époque n’est pas aussi répandu en France qu’en Angleterre. Boire ce nouveau breuvage dont les anglais étaient fous et qui venait d’une terre si lointaine, devait être perçu comme exotique, précieux et très à la mode pour ces nobles. D’ailleurs, l’intérêt porté au thé est résumé dans cette petite phrase écrite sur une feuille près du près du violoncelle, dans le coin en bas à gauche du tableau (Je ne le vois pas mais sur l’histoire par l’image, l’auteur la cite ) :

« De la douce et vive gaieté
Chacun icy donne l’exemple,
On dresse des autels au thé ;
Il meritoit d’avoir un temple. »

Le thé, boisson des mondains, apparait également dans le tableau de Jeanne Lemaire, Le gouter au salon du peintre , peint en 1891. Il s’agit du salon de Lemaire. Comme on le voit sur la photo, elle a représenté son atelier à l’identique.

Un beau salon, les invités portant d’élégantes tenues, appartenant à la classe aisée.
La table est bien garnie en théières de plusieurs tailles dont la plus grosse est posée sur un réchaud. Le thé est encore chaud, on voit de la fumée qui sort. Il y a du citron posé sur une soucoupe et une belle brioche pas encore entamée. Les femmes ont des tasses à la main mais nous ne voyons pas d’hommes en avoir. Il semble même qu’un d’eux refuse poliment une tasse qu’on lui propose.
Ici encore, la conversation bat son plein autour de la tasse de thé. Ce que j’aime dans ce tableau c’est le bruit présent ! Une scène pleine de bruit de conversation. Tous les personnages sont en groupes, les positions de leurs têtes et de leurs mains, montrent qu’ils sont en train de parler. Parlent-ils des oeuvres d’arts ?
Peut-être. De secrets ? Pour deux femmes, on dirait bien !

Notez la mise en scène de deux espaces bien distincts : à gauche, les personnes qui parlent en 3 groupes, qui se tiennent debout ou assis à table sur le parquet. Et à droite, un espace bien délimité (par la présence du tapis), dans lequel se trouve deux femmes qui discutent de manière privée. Cet espace délimité est davantage discret, intime. Alors que le rideau dans l’espace de gauche est ouvert et montre une ouverture, celui de l’espace droit est tiré, comme pour les cacher. Le paravent participe également à cacher les deux femmes qui semblent être à l’écart du groupe principal. Les couleurs beaucoup plus claires, pastels, participent à montrer la différence avec le reste de la pièce. Un espace plus silencieux. Beaucoup plus discret du moins. Parlent-elle d’un secret ? D’une mauvaise nouvelle ?
Dans cette scène si anodine, se déroule peut-être un drame ! Cela n’est qu’interprétation mais en tout cas, la peintre a bien mis en valeur ces deux jeunes femmes qui, si elles sont en retrait par rapport au reste du groupe, nous est révélé et attire notre regard. Le thé serait-il propice au déliement des langues ?

À croire le peintre américain, Louis Moeller, oui ! Dans son oeuvre, The gossips ( Les ragots) on assiste à une scène, cette fois-ci beaucoup moins mondaine, dans un intérieur privé et aisé.

Il y a un groupe de quatre femmes. Trois d’entres elles, écoutent la femme de gauche parler. Tout comme dans le tableau de Lemaire, il y a une mise en scène intimiste, secrète. Un paravent est installé et a la même fonction que dans le tableau de Lemaire : cacher ce groupe durant leur conversation. Elles sont également rapprochées l’une des autres. Pour que personne ne les entendent.
On comprend aisément qu’il s’agit de gossips , de ragots : avec la position des deux femmes dont on voit le visage à droite, qui montre à quel point elles prêtent l’oreille à ce qui est dit ; ce mouvement figé de la chaise à bascule qui tend vers l’avant sous le poids de la femme qui se rapproche pour parler. C’est d’ailleurs, ce qui attire le regard dans ce tableau. La femme de dos ne semble pas prêter attention à ce qui est dit car elle semble être la seule à ne pas regarder la femme de gauche.
Il n’y a que la femme qui parle qui semble avoir une tasse de thé. Peut-être est-elle arrivée à l’improviste pour raconter ses commérages et son hôtesse lui a offert une tasse de thé pour l’accueillir ou alors les deux femmes intéressées par ce qu’elle sait l’ont invité et lui on proposé une gentille tasse de thé pour lui délier la langue ?…

Mais loin de moi l’idée de vous faire croire que le thé est la boisson des commérages et des secrets !

Le peintre franco-italien François Soulacroix a réalisé plusieurs versions d’une même scène. Celle représentant trois jeunes femmes issues d’un riche milieu au vue de leurs très élégantes tenues sont réunies dans une très luxueuse pièce pour prendre le thé. Je vous en propose deux mais il doit y en avoir une ou deux autres de plus. Soulacroix a également peint d’autres oeuvres qui ont aussi pour thème le moment du thé.
La scène est intime. Il semble n’y avoir que ce groupe d’amies dans cette salle.
Là encore, on parle autour du thé. Mais ici, le moment du thé est l’occasion de se réunir entre amis pour un moment complice. On s’amuse, on se taquine. C’est un moment entre amies qui sont heureuses d’être ensemble et de partager une tasse de thé.
Dans ces deux versions, le décor change quelque peu mais les deux représentations se ressemblent énormément ( Je vous invite à jouer aux jeu des 7 différences dans les commentaires ). Le service à thé, posé sur un très beau guéridon qui le met en valeur, est différent mais tout aussi raffiné. J’aime beaucoup le tableau de droite. La jeune femme qui se cache le visage avec son éventail et qui rougit de gêne attire le regard. Ce geste traduit une atmosphère très complice et amicale, personnelle. C’est une scène très réaliste, commune et non pas mise en scène. Cette scène de thé entre amies, on pourrait la trouver partout aujourd’hui.

Autre tableau dans le même esprit que celui de Soulacroix, l’oeuvre de Louis Moeller, Tea party .

Le milieu change, il s’agit d’un cadre plus sobre et l’âge des personnages diffère légèrement. La scène représentée est assez intéressante. L’atmosphère qui s’en dégage est l’opposée du tableau de Soulacroix. Il s’agit bien d’un groupe d’amies réunies pour le thé chez l’une d’entres elles. Là encore, il est question de conversation autour de la chaleur d’une tasse, d’une belle table bien garnie, avec de belles tasses en porcelaine et du gâteau. Une gentille rencontre entre amies !
Oui mais ici, la conversation a dû mener vers un profond désaccord. La gestuel des femmes nous le montre. Un index levé bien droit d’une femme, qui semble mettre en garde, ou affirmer son opposition, les mains innocemment levées d’une autre, pour renforcer son argumentaire et dire : « Vous n’êtes pas d’accord, soit, mais j’ai raison ! », la petite main d’une 3e femme pour tenter d’arrêter la seconde et apaiser les choses. On tente de la raisonner , on lui apporte même une autre tasse de thé pour la calmer. ( Il est vrai que tout semble mieux passer avec une tasse de thé ! ) Mais rien n’y fait… Un conflit va -t-il éclater ? Ces chères dames vont-elles en venir aux mains ?

Dans le tableau de Wilhem, The tea Lady , la conversation semble aussi aller de pair avec le moment du thé.

Un groupe d’amis ou une famille prend le thé à l’extérieur dans un cadre privé. On se parle, on s’écoute. De façon générale, la conversation semble assez posée. Mais il y a tout de même un silence. Un silence lourd pour la femme au centre de l’image. Les autres parlent ensemble, sont assis les uns près des autres. Pour la femme, il y a une place vide près d’elle, bien mise en évidence. Est-ce le chapeau de son conjoint ? Ou le sien ? En tout cas, ce chapeau met en lumière cette place vide près d’elle, et donc une solitude et un silence.
Cette solitude la coupe des autres. Elle est placée en coin de table, comme à part, elle n’a même pas de tasse devant elle. Son regard est perdu, elle est immobile. Est-ce sa solitude qui la paralyse ? Je trouvais très intéressant de mettre ce tableau dans le corpus, car la solitude est justement mise en exergue parce qu’elle apparait dans un contexte convivial, durant le moment du thé, ce qui rend le contraste encore plus fort.

Pour finir le corpus, je voulais mettre ce tableau que j’aime énormément : Le thé de cinq heures du peintre américain Julius Leblanc Stewart

Ici, nous sommes dans un très bel intérieur, plein de monde pour l’heure du thé. On retrouve plusieurs éléments déjà vu dans les précédents tableaux : un milieu aisé, la conversation qui bat son plein dans chaque petits groupes, un très beau service à thé… Mais il y a une petite différence… Les enfants ! Il est vrai qu’il était rare que les adultes «s’encombrent» de leurs enfants durant ces moments de vie sociale, surtout dans les milieux aisés.
D’ailleurs même s’il y a deux petites filles présentes, celles-ci sont bien séparées des adultes et de leurs conversations de «grands». Tous sont plongés dans leur discussions excepté deux femmes. Celle en rose qui pose un regard sur une des petites filles et une autre femme, silencieuse, qui semble perdue dans ses pensées. Sont-elles les mères des petites filles ? Ou peut-être n’y a-t-il qu’une seule mère ? Celle en rose ?
En tout cas, cette représentation du five o’ clock tea, confirme encore une fois que le moment du thé est -pour les adultes- un moment où l’on prend davantage de plaisir à discuter qu’a prendre le thé, alors que pour les enfants, il semble que cela soit l’inverse !


La peinture le montre bien, comme le champagne qui accompagne les moments festifs, le thé accompagnait des temps conviviaux, amicaux et mondains des classes sociales aisées et moyennes et ce, à différentes époques. Qu’il s’agisse de discussions intellectuelles, intimes, de conversations de tous les jours, etc. il était et il est toujours plus sympathique de discuter autour d’une bonne tasse de thé chaud.

"Incident theiné ou Thé pris à la fin d'une longue journée " par Sia de @lavoixduthe 

Merveilleuse oeuvre ! Merci Sia ! 😁😁😁

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